A l’Armée, au moins on rigolait – Confiné, Jour 5

Toi tu me fais bien marrer

Alors que nous partagions un apéritif en ligne — j’aurais tout vu, je crois — l’un de mes amis a eu cette saillie qui m’a fait bien réfléchir à propos du Grand Confinement : «  A l’Armée, au moins on rigolait ! ». Il faisait référence à la vie de chambrée, coincé avec des camarades non choisis, compagnons d’armes au service de la Grande Nation Française. Pas très loin de ce que nous vivons aujourd’hui.

Je suis le dernier des Français à avoir effectué son service militaire, c’est incroyable non ? Oui bon… ce n’est peut-être pas totalement vrai.  En tout cas, je suis le dernier de ma famille à avoir porté fièrement l’uniforme, le dernier Chatellier élevé au rang de «  trouffion », sublime surnom teinté d’une franchouillarde poésie qui a toute mon affection.  Condamné au sortir de la Guerre du Golfe, la version originale pas le remake, à une peine de douze mois sous les drapeaux, j’y ai connu mes premières expériences de confinement, je n’ai pas muri en pension lors de mon passage dans les institutions catholiques mais néanmoins scolaires de notre belle Terre du Milieu.

Après ce que l’on appelait les «  classes », j’ai eu l’occasion de démontrer pendant deux mois toute l’étendue de mon absence de dextérité, syndrome connu sous le nom de « deux mains gauche », dans l’équipe de choc dévolue aux missiles sol-air. Ce n’était pas nucléaire mais quand même assez explosif, et on a jugé très vite qu’il valait mieux ne pas me laisser y mettre les doigts trop longtemps. Les Irakiens n’avaient rien à craindre de moi, mes camarades si.

Prudent, le commandant décida de me confiner dans un recoin de la caserne dans lequel je ne risquais pas de causer le moindre mal définitif et perpétuel (l’état de Mort) autour de moi.
Direction une zone protégée, dans laquelle étaient entreposés uniformes, casques, gants, etc.  Tout ce qui fait qu’on sait qu’un militaire est un militaire et pas un joueur de curling (et pan pour les joueurs de curling !). J’étais devenu fourrier, et j’en ai pris pour six mois. Le fourrier dans la belle tradition de notre armée française qui s’honore de [… remplir du fait d’armes, de la victoire ou du chant que vous voulez], c’est le Maitre des Clés de l’intendance. Guillaume Appolinaire fut brigadier-fourrier lors de la Grande Guerre. Et toc !

En temps de non-guerre, ce que l’on appelle la Paix, les occupations (n’y voyait aucun jeu de mots, merci) sont assez réduites. Pour ne pas dire que bon… il n’y avait pas grand chose à faire. Entre deux manœuvres et un défilé, le temps était long comme un épisode de Derrick. 

Nous étions deux compagnons de cellule, deux planqués comme disaient les autres. C’est vrai qu’on était bien caché…. Enterrés même. Nous partagions une chambrée avec lits superposés, des barreaux aux fenêtres (contre le vol à ce qu’on nous avait dit) et un poste de télévision. Les sorties étaient limitées au strict minimum, toilettes sur le palier et nourriture prise au mess, mais rapidement s’il vous plait il ne faut pas laisser le matériel trop longtemps sans surveillance.
A bien y réfléchir avec le recul de la vie et moults visionnages de Prison Break et OZ… Comment dire ? J’ai l’impression que… Vous ne voyez pas ce que je veux dire ?

Mon coturne et moi-même nous entendions assez bien, lui discret et travailleur Kabyle Lyonnais se destinant à la comptabilité, moi fier fils de d’une bourgade de la Comté se destinant à ne pas mourir d’ennui pendant les 6 prochains mois. Une fois passé le moment gênant où nous nous déclarâmes notre hétérosexualité affirmé («  Are You ? »  «  You Are ? » ), ce fut un long, très long tunnel que nous avons parcouru jusqu’à la fin ensemble.

Des livres (Les Seigneurs des Anneaux, l’Ulysse de Joyce, Dune, Le Dictionnaire des Synonymes,… tout ce qui avait plus de mille pages m’excitait profondément), de la musique (Hendrix, Franck Zappa !) et… M6 et la Cinq (Supercopter, Arabesque, Derrick…). Fresnes, Fleury, deux minutes d’arrêt. 
L’important c’est d’avoir une bonne routine si on veut garder une santé mentale qui ne soit pas un passeport pour la camisole.

Six mois, cela passe assez vite me semble-t-il. Surtout sur la fin. Surtout un siècle plus tard. 
Ou alors, c’est peut-être parce que c’était des anciens mois ? Ceux d’avant le passage à l’Euro. 

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