A deux mains si vous le voulez bien – Confiné, les jours d’après

Rien de mieux que le soleil du Sud

« La direction de la SNCF confirme la reprise des trajets TGV entre Paris et la Principauté de Marseille dès le mois d’Avril. Deux aller-retour par semaine sont programmés. C’est une grande nouvelle puisque les Parisiens ne pouvaient se rendre dans cette région depuis l’interruption définitive des vols Air France au printemps 2021. »
 Le Confiné Libéré, Mars 2022


Avec tout ça, j’ai bien pris l’habitude de faire la queue. C’est une de ses petites victoires dont je me satisfaisais. J’avais longtemps admiré nos amis Polonais (les polack comme les appelaient ceux qu’on appelaient les portos dans mon enfance, ou les ritals, je ne sais plus qui ont détesté, c’est bien loin tout ça, le bon vieux temps) dont le calme, alignés tels des caran d’ache en nuancier de gris, devant les magasins vides de Jaruzelski me semblait être une vision martienne. Maintenant, nos amis Polonais ne sont plus tellement nos amis, mais moi je fais la queue comme personne.

Arrivé à l’aube, j’avais pénétré cette ville par la même entrée que sous Chirac 1er, la gare de Marseille – St Charles donc. Et comme dans mon souvenir (mon année de militaire involontairement engagé à l’appel du Grand Jacques pour repasser des uniformes de parade dans une cellule, on s’en souvient), cela m’a paru être un vrai bordel cet endroit. Pas rangé pour un sous, on sent qu’ici l’amour des choses droites n’est pas très présent. J’avais cru qu’après tout ça, les Marseillais auraient changé… oh fatche de con ! Des masques verts se mélangeaient avec des masques oranges, j’ai même vu deux masques rouges au milieu d’une file d’attente, je vous jure que c’est vrai sur la tête de Saint Thomas, le patron de tous les athées. Sous la statue du Commandeur Didier, inaugurée la semaine dernière selon La Provence, une dizaine de Raoultiens prosélytaient gaiement. Depuis le Troisième confinement, ils avaient un boulevard ouvert sur le Vieux Port. Deux dealers de Chloro — des caricatures survivantes des quartiers Nord — tournaient autour des voyageurs qui couraient à leur destination, les laisser-passer temporaire pour « visiter » la Cité Phocéenne ne permettant à personne de s’attarder. Je ne me laissais tenter ni par les uns ni par les autres, n’ayant toujours pas céder à la peur pour l’ombre.

Le train wagon VIP avait été une expérience, cela fera une belle anecdote à raconter à la R.P.L.F.* quand je rentrerai. L’arrière-petit-fils de cheminot que je suis, goutait l’ironie de la situation en même temps qu’un café Origine France facturé sept euros, le nouveau prix normal. La dizaine de passagers de notre wagon avait tous, comme moi, le bracelet mauve de Ceux qui sont restés. Ensemble, nous profitâmes de la balade (4h30 toujours aussi rapide, bravo la SNCF, la technologie c’est vraiment top), sans nous adresser la parole ; les deux mètres de distance réglementaire ne facilitant pas la communication, et bon, qu’avions à nous dire qui méritait de prendre un tel risque ? Si…  la remise des bracelets six mois plus tôt aurait pu être un souvenir commun à partager et à commenter tellement on avait ri avec la bande du 9ème quand Mme La Maire — ou Mme Le Maire ?, Mme La Mairesse ? — nous avait décoré pour service rendu à la ville de Paris. L’arrière-petit-fils de cheminot que je suis, goutait l’ironie… enfin vous m’avez compris. Toujours est-il que j’étais en classe privilégié, et que je comptais bien aller jusqu’au bout de ce voyage et d’en revenir avec exactement ce que j‘étais venu chercher.

La dame à deux mètres devant moi parlait à l’homme qui la précédait dans la file d’attente. Quand je dis « parlais », cela ressemblait plutôt à une suite de cris, dont j’arrivais à assurer la traduction simultanée grâce à ce don merveilleux pour les langues étrangères qui me permet de me faire comprendre en anglais par une bonne partie du monde en télétravail et commander une bière ou une orange pressée en Espagne (cette dernière capacité étant devenu totalement inutile on le notera). Au bout de quelques minutes, je m’étais rendu compte que c’était du français mais avec l’accent du cru accentué à l’extrême. Ils devisaient à gorge déployé sur les derniers événements français, rigolant de la chute du gouvernement Maréchal Mélanchon (en l’écrivant je me dis que c’est drôle et je précise que je ne parle pas ici du « Maréchal Jean-Luc Mélenchon »   mais bien du troisième gouvernement d’alliance national tenté par Macron sous la pression populaire qui avait suivi l’échec du ticket Poutou Jadot. Gouverné / le peuple / contenté / les gens / c’est compliqué) et des images hilarantes de la Belle Héritière à la frontière Suisse, menottée, le coffre ouvert de sa Lexus, les trois glacières ouvertes débordant de contrebande asiatique de l’objet de mon voyage sur les terres de Pagnol. On savait toujours rire chez les gouvernantes, c’est ce qui me donnait de l’espoir.

J’ai su très tôt que je devais faire des compromis pour arriver au but de ce voyage, je n’avais pas les fonds nécessaires pour avoir le dessus du panier, le marché étant très tendu depuis qu’il avait été inventé. Le bracelet m’avait permis d’accéder au train et de poser mes fesses dans le Wagon des VIP, pour le reste j’avais du payer bien sur. La vente de mon cher Vespa m’avait aidé, les confinements #2, #3 et #4 aussi avec leur consumérisme réduit au strict minimum.  Mais c’était aussi à cause d’eux que j’en étais réduit à faire le pied de grue (expression archaïque du temps où l’on savait ce qu’était une grue), le traitement à l’hydro-alcool ayant fait son travail de sape (Tudieu ! Deux expressions du passé coup sur coup, je suis en passe de me faire traiter de Boomer c’est sur !) à l’encontre des mes outils de travail les plus précieux, Los Manos de Dios, mes mimines chéries. L’assurance que j’avais prise en septembre à la sortie du Grand Confinement (le Premier Confinement en fait), ne couvrait que les frais de l’opération et le choix du « matériel » avait été assez réduit, eut égard à la surface financière susmentionnée en phrase 3 du paragraphe V de cette chronique. J’étais, malgré tout et surtout à cause des démangeaisons,  impatient d’y passer et d’en sortir, en homme nouveau prêt pour travailler plus sereinement lors de la prochaine saison des Confinements qui n’allait pas tarder à pointer son vilain nez, et la goutte qui allait avec. Faites que la queue avance vite, faites que cela se passe bien, faites que les deux qui me précèdent se taisent !

Quelques jours plus tard…  

A bien y regarder, c’était assez satisfaisant. Bon je ne vous cache pas que j’avais un peu peur de la réaction de Celle que j’accompagne. Bulle et l’Ainée ne seraient pas là à mon retour, elles étaient dans leur villégiature respective (merci à la Mairie parisienne qui chérissait Celles et ceux qui sont restés). C’est vrai qu’il y avait une différence évidente. Pas tellement la couleur, ce qui n’avait rien de surprenant vu leur origine, mais plus leur taille. J’allais devoir m’habituer… L’adolescent érythréen qui m’avait «fait ce cadeau » n’avait pas des pattes d’ours comme celles que j’ai utilisé toute ma vie, mais ces longs doigts fins seraient sans doute très habiles à manier le clavier et la souris. Tout n’était pas perdu ! 

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