L’une de mes filles, L’Ainée pour ne pas la citer parce que cela va encore une fois m’attirer ses foudres absolument et férocement caudines, m’a asséné il y a peu une claque dont je ne me remets pas.
Elle m’a lancé, au sortir d’un vif échange dont nous gardons le secret pour ne pas étaler notre vie sur la place sans réel public de mon lectorat, voire de mon auditoire : « les seuls qui emploient aujourd’hui encore l’expression OK Boomer, ce sont les boomers comme toi ».
Les bras m’en sont tombés. Ma mâchoire s’est décrochée. Je me suis senti tout retourné, sens dessus dessous. En un mot, le choc fut rude.
A quel moment de ma vie, qui ne fait pas que commencer je vous le confirme, ai-je perdu le fil de ce qui faisait de votre serviteur dévoué un éternel jeune homme, un ersatz de Dorian Gray, bobo quinoaé et hyperconnecté ?
J’avais tout au long des années, qui ont passé sur moi comme la brise sur le pont bien chaloupé d’une fringante goélette, gardé à l’esprit de ne pas perdre de vue la culture de « ceux qui viennent après » . Je me suis appliqué à naviguer près de leur cour de récréation pour en voler quelques bribes que je ne manque jamais de placer quand je les côtoie.
J’étais un adepte de « c’est bath » quand c’était de mise dans les années 90, voire d’un « trop cool » un peu plus tard. Le mot « fun » a longtemps fait partie de mon vocabulaire, c’est vous dire si j’étais à la page. Eussè-je appris que ce n’était point le cas que j’aurais adapté mon dictionnaire de la street derechef.
La street credibility, c’est ça l’ultime trophée que nous les vieux jeunes adultes, adultes ancien jeunes, adulescents, enfultes et autres vieux loups de mer tentons d’obtenir chaque année pour rester près du troupeau. Parce qu’on le sait bien : à se laisser trop distancer, la porte qui mène vers la lumière au bout du tunnel, ils nous l’ouvriront, pour une fois, avec sollicitude.
Je mis toute les chances de mon côté et chaque jour je travaillais dur pour ne pas perdre le fil. Je décryptais, j’écoutais, je regardais, ce que les jeunes « kiffaient »… Jusqu’à la lie, sans vomir, je buvais la fontaine de jouvence de la djeuns culture et pourtant cela ne suffisait pas à me maintenir dans le jeu. Le game m’avait killé. NPL, Madame Nakamura, Gims, Les Anges,… Leurs idoles à eux, petits enfants des Sylvie, Johnny, Mike ou Enrico d’une autre époque, n’avaient pu me sauver.
En vérité, ce que me disait L’Ainée, c’est que ma vaine tentative d’appropriation culturelle, ridicule et sans doute un peu pitoyable ne ferait jamais de moi Benjamin Buton, et que j’avais beau batailler… la porte était par là et que merci bien de ne pas partir sans laisser les clés à sa génération. Et la connaissant, sa génération, j’avais bien de la chance qu’elle ne me colle pas un procès qui me conduirait… je ne vous le fais pas dire… oui au bucher tout certainement après m’être fait déboulonner la casquette que je porte de temps en temps à l’envers.
Finalement, à l’aube du solstice de l’automne du printemps de ma vie, comme disait le poète belge, pas Stromae mais l’autre MC Jack Brel : « non r de r, je ne regrette r ».
Du coup, vous avez vu ce que je viens de faire là ?, dois-je leur laisser les tiques de language, l’argot globalisé, leurs idoles en carton du même bois que les sus-cités et tout ce qu’ils s’évertuent à inventer comme repoussoir et me diriger tranquillement vers là où pait mon troupeau en attendant patiemment qu’un EPAHD nous accueillent ?
C’est bien mal me connaitre de penser que je vais baisser le pavillon de la coolitude sans me battre. Et j’engage mes semblables, les cheveux poivre et sel à sneakers blanches à se battre. « Toujours le poing levé » si je peux paraphraser cette magnifique artiste sortie d’un autre carton sus-cité pour la deuxième fois.
Pour commencer, je pars de suite télécharger la dernière mise à jour de FIFA. Et on verra bien ce qu’on verra bien.