
En ces temps-là, je m’étais mis à courir. L’homme mi-centenaire que j’étais avait pris goût au trottinage à l’occasion d’un quelconque confinement sanitaire et planétaire. Lorsqu’on interrogeait mes motivations, je m’en sortais d’une pirouette en disant que je voulais être en forme le jour où les zombies viendraient parcourir les rues du 9e parisien à l’affût de chair fraîche ou pas, peu importe. Mon credo depuis ma prime jeunesse étant que la meilleure défense c’est la fuite.
Comme souvent, je resquillais pour ne pas mettre à nu mes angoisses. Vous méritez la vérité, et je vois qu’il est l’heure pour moi d’enfiler à nouveau le tablier de patron du comptoir de psychologie à deux euros l’analyse.
Sagaces que vous êtes, vous aurez noté que l’information importante dans mon introduction est que je suis depuis peu un homme mi-centenaire. Ce qui signifie que a) la loterie de la vie m’a gâté jusque-là, b) je ne pourrai malheureusement pas profiter des avancées de la science qui aboliront la mort mais qui arriveront trop tard c) je suis sans doute à la moitié du chemin dans la roue de la vie. Si tant est que la susmentionnée loterie ne rebatte les cartes d’un jeu dont personne ne connaît les règles mais qui ont l’air quand même assez complexes.
Courir pour ne pas s’arrêter
L’une de mes amies consultait à l’époque un « eldoradopathe » – un homéopathe diététicien féru d’astrologie – qui l’avait persuadée de ne pas prendre de granulés sucrés quand Mars besognait Orion. Ces jours-là, elle devait prendre un Aspiruline, un cocktail glacé à base d’aspirine et de spiruline avec un zeste de citron bio, pour soigner son mal de tête.
Elle tenait pour miraculeux le bonhomme et me poussait à le voir parce qu’il avait pu l’aider ; il serait donc à même de me soigner de ce que j’avais déjà compris comme étant la peur de la fin d’une histoire, ce qu’on appelle communément « avoir les jetons face la mort » dont le côté définitif de non-vie provoquait chez moi une appréhension somme toute assez compréhensible.
Je lui ris au nez, elle pleura un peu, nous n’en parlâmes plus jamais. Il est des avis que l’on doit garder pour soi.

Par Gilles Rapaport dit le Cynique
Le meilleur conseil, même s’il n’était pas formulé comme tel, pour lutter contre le temps qui passe m’est venu d’une autre de mes amies dont j’envie la forme physique – la forme de son physique donc – qui m’a donné sa recette. Cette dernière tient en trois mots, dont une préposition : course à pied. Bien évidemment, je ne me berce pas d’illusions, je sais que jamais je ne pourrai lui ressembler, principalement parce qu’elle est une femme et moi un homme, si tant est que cela ait encore un sens à l’heure où j’écris ces lignes, et je ne parle pas bien sûr de nos vingt ans d’écart.
Mais cela m’a inspiré, et, depuis, je cours comme un rat de laboratoire à qui on aurait fait passer le mémo suivant : « Cours, si tu ne veux pas être le prochain à griller ! »
La course était pipée comme les dés
Mais je le sais bien que, à la course contre l’âge qui me dévore, les rejetons de « ceux qui nous succéderont » seront les premiers à battre la mort, si ce ne sont ces derniers eux-mêmes. Ce sont eux qui bénéficieront des années de travaux menées par ces cons de boomers sur les biotech, les nanothérapies, de toutes les inventions que le monde des salauds qui les ont enfantés leur légueront en s’excusant par avance d’avoir existé. Le monde formidable, et cohérent, dans lequel les riches parmi «ceux qui viennent après» pourront vivre plusieurs siècles et jouir à jamais de leur bien en se gobergeant, je ne le verrai pas. Je suis réaliste mais un peu triste quand même. Bon, en même temps, je ne suis pas riche, donc je suis foutu dans tous les cas.

Par le caustique Gilles Rapaport
Alors je cours, comme beaucoup de Parisiens, à petites foulées sur le bitume, parfois dans ce qu’on appelle un « parc » à Paris. Et j’en vois des comme moi, filles et garçons de la génération Valery Mitterrand ou François Giscard, je les confonds toujours, qui se battent chaque jour contre la trotteuse pour ne pas voir arriver trop tôt la faucheuse tout en sachant que jamais leur course ne pourra inverser le sens de la roue dans laquelle ils sont coincés.
« Juste fais-le » qu’ils disent. Quelle blague.
… magnifique chronique et illustration.
Qui me fait penser au proverbe pygmée …. « si tu avances, tu meurs … si tu recules, tu meurs, ….alors pourquoi tu recules ? » … ce qui n’est visiblement pas ton cas.
Merci Philippe !
JE SUIS PYGMÉE