A quoi ça tient de devenir une star internationale ? De remplir des stades ? D’être l’objet d’un culte mondial ? Répondez. Ce n’est pas une question théorique.
« Écrire, c’est une histoire de choix. »
Comme dit Ernest Hemingway… Non mais ça ne va plus ! Merci de me claquer le beignet la prochaine fois que je commencerai une chronique comme ça. Si jamais je m’aventure à citer un auteur, arrachez-moi un ongle, tirez-moi un poil de nez. C’est un crime d’honneur, je mérite une punition. Pour aggraver mon cas, j’ai créé cette citation de toutes pièces !
Le choix donc…
Mais quel est le mien ? D’écrire un texte sur la nouvelle bière IPA disponible au rayon frais de mon hypermarché, oui parce que tout ça a un coût, et les microbrasseries parisiennes ont plombé mon plan épargne-retraite ; ou alors sur la dernière facétie tellement mignonne de mon compagnon à poils, incroyable animal qui est hypoallergénique et, c’est une bénédiction, une icône pour tous les canidés de South Pigalle ; voire sur l’anecdote passionnante du douloureux problème de la tige de selle de mon petit vélo qui se plie. Ah ! Je ne vous ai jamais parlé de mon Brompton ? Je réparerai cet oubli un autre jour.

par Gilles Taquinou Rapaport
Chez moi, c’est souvent une conversation anodine qui lance la machine à écrire, autour d’un café ou de multiples cafés selon l’interlocuteur, je ressors de mon cabinet de curiosités intérieur avec une anecdote qui finalement va me donner une belle idée de mise en abîme personnelle, pour ne pas dire de noyade nostalgicothérapeutique, de mise en boîte, pleine des chocolats que la vie m’a offerts si je veux être honnête.
Par exemple, et j’y arrive enfin, dernièrement j’évoquais avec l’un de mes meilleurs amis un des épisodes les plus gênants, « tellement cringe », de ma courte existence à l’échelle du carbone 14. Il s’agit de cet instant fugace où je suis presque devenu membre d’un boys band. Accrochez-vous.
J’étais dans une situation financière difficile alors que, d’habitude, je roule sur l’or. Hébergé par mon mécène de toujours, j’enchaînais les petits boulots, qui font que j’ai toujours des histoires à raconter, mais ça ne me permettait pas de m’approcher de mon rêve de l’époque : être le bienheureux propriétaire d’un manoir et d’un labrador, les deux sur la côte Atlantique. Je sortais à peine de ma période grunge que déjà je tombais dans le fantasme bourgeois-romantique. Quel cliché.
Une annonce dans un hebdomadaire, Pariscope ou autre je ne me souviens plus, attira mon attention. C’était le millénaire précédent, l’ère pré-Internet et le créateur de TikTok n’était pas encore né. « Groupe cherche chanteur. Blond c’est mieux. »
Mes ambitions de bourgeois romantique – un « boro » donc, on peut noter ici je vous le concède que les boros n’ont pas eu loin de là le succès des bobos – et mon passé de chanteur du groupe de covers le plus sous-coté du sud de Clermont-Ferrand me poussèrent à répondre à cette annonce. Je passais le coup de téléphone qui allait me conduire en banlieue pour passer une audition. Oui vous avez bien lu les mots « banlieue » et « audition ». On croit rêver.
Après avoir pris le métro, cette banlieue-là se trouvait sur une ligne de métropolitain – je n’étais pas non plus Indiana Jones, et le RER n’était pas envisageable pour moi –, je me retrouvais dans un des ces endroits pavillonnaires d’ouvriers des années 1950, devenus le refuge des dentistes, des médecins et autres patrons d’agence de pub ayant fuit vite vite la vie parisienne quand ils s’étaient aperçus que les gens qui font la fête dans le centre de Paname sont assez bruyants quand on n’est pas des leurs.
L’est de Paris, Montreuil ou Bagnolet, je ne sais plus.
Une petite rue de pavillons donc, charmants et proprets, une fenêtre ouverte laissait s’échapper une odeur de soupe chaude, c’était comme dans un épisode de Maigret, le Walkman que j’avais vissé sur les oreilles en moins. J’avais passé le trajet à écouter une cassette de compilation des Doors, de Bowie et des Stones pour me mettre en condition. Le blues et le rock m’habitaient, le « Roi Lézard » était prêt à se réveiller. Je me voyais déjà hurlant dans un micro, mon Light My Fire ne demandait qu’à jaillir !
Le pavillon du lieu de rendez-vous ne se distinguait pas des autres si ce n’est le petit panneau qui indiquait « FabProd, au fond de l’allée à droite. Ne sonnez pas. ». Eh oui, bien sûr, c’est un studio d’enregistrement, il ne faut pas déranger les artistes. On y était, les studios d’Abbey Road à quelques pas, on allait voir ce qu’on allait voir.
Un jeune type fumait une cigarette devant la porte du studio de FabProd. Un de ces gars dont on ne sait jamais s’ils sont heureux d’être totalement sous emprise hallucinogène ou désespérés d’être en stade terminal d’une terrible maladie. Devais-je les plaindre ? Les envier ? Je choisis de rester neutre et professionnel, je me présentais : « Gael, je viens pour l’audition. » Après m’avoir dévisagé, avec le recul je dirais avec un petit air narquois insupportable, il m’invita à entrer.
Alors que je descendais les marches qui allaient me conduire au sommet de la gloire musicale, je croisais une fille. Mignonne et guillerette, elle affichait un sourire satisfait et sautillait vers la sortie. FabProd avait l’air d’une bonne maison ! C’était bon signe.
La porte était ouverte, et j’entrais dans le studio. C’était bien un studio avec une table de mixage et tout. Assurément, ce n’était pas Abbey Road ni le Château d’Hérouville, plutôt un garage aménagé. Mais il y avait un micro au centre de la pièce, à défaut d’instruments. Cela ne me gênait pas, déjà je ne savais jouer d’aucun.
Le producteur, j’imaginais que c’était lui, portait haut la bannière des années 1990 : il avait une miniqueue-de-cheval alors que ses cheveux se faisaient déjà la malle, un T-shirt « From Ibiza with Love », des jeans tie and dye déchirés, des Air Max orange. Oui, c’était donc bien lui le producteur.
Il m’accueillit d’un « Salut, tu es Gaël ? Tu es blond, c’est déjà ça. » Il me dévisagea avant de me lancer : « Bon l’acné, ça risque d’être un problème quand même, mais le maquillage c’est pas que pour les gonzesses. »
Je sentais qu’il était déçu alors qu’il ne m’avait pas encore entendu donner de la voix. Il me tendit une feuille de papier sur laquelle étaient imprimées des paroles.
Deux heures plus tard, je suis chez moi.
Black-ou! Je suis incapable de raconter à mon bienfaiteur pourquoi je ne serai pas l’un des membres des FabFive, la sensation pop qui ne manquerait pas de cartonner sur NRJ et Europe 1 à la rentrée. Avais-je refusé de chanter un morceau indigne de mon talent ? Ma blondeur naturelle n’avait-elle pas suffit à masquer mon absence totale de musculature ? Ou, tout simplement, n’avais-je pas réussi cette audition ? Cette dernière hypothèse est fortement improbable, considérant l’incroyable talent sus-cité.
Des années d’introspection et d’auto-analyse non tarifée ne m’ont pas permis de lever ce mystère. Que le producteur à queue-de-cheval, s’il est toujours de ce monde, se manifeste pour m’aider à résoudre cette énigme d’un autre millénaire.
Play-scriptum : Pour écrire cette chronique, j’ai profité de ma nouvel platine vinyle pour réécouter l’album OK Computer de Radiohead, le morceau Exit Music (For A Film) étant parmi mes favoris. La mélancolie, camarde comme le chantait, à peu près, Serge… Je viens d’apprendre que Pulp sort un nouvel album, c’est la meilleure annonce musicale depuis l’arrêt de la carrière de Pascal Obispo (ah il n’a pas arrêté sa carrière ?).