C’était un soir de bourguignon

L’idée me vint alors que je préparais un bourguignon pour des amis aussi peu vegan que possible. Ou était-ce un Irish Beef Stew ? Je ne suis plus si sur. En tout cas, je découpais du bœuf et mes invités le mangeraient.

Les pieds plantés sur les tomettes d’un carrelage giscardien ébréché de mon coin cuisine, j’étais entré dans une méditation de pleine inconscience que je maîtrise je le crois à la perfection. Je m’explique.

Mon couteau, héritage du temps béni où Jackie et Michel n’étaient que des Sardou**, débitait le bovin en morceaux assez réguliers. Mon esprit était quand à lui occupé à battre la campagne bordélique des pensées qui nous assaillent au crépuscule, je parle de moi en employant nous dorénavant, avant que je ne saisisse l’animal au faitout. C’était un joyeux tir de bulles auquel je me livrais, avec toute l’inattention de plusieurs décennies de pratique assidue qui font aujourd’hui de moi un maître dans cet exercice ; j’avais comme cibles la longueur de ma barbe, une sombre et vieille histoire impliquant l’URSSAF, le souvenir d’un parcours à vélo qui m’avait mis en joie, une remarque de la plus jeune de mes filles sur mon incapacité à écouter (on croit rêver parfois), et, l’histoire s’en souviendra, de ma présence sur les réseaux sociaux.

Je m’arrêtais sur cette dernière quelques instants au lieu de la dégommer (file, file, petite métaphore ridicule), et lui portais mon attention. C’est cet instant précis qui sonnait le glas du duo Facebook et Instagram. Enfin, pour mon usage personnel, s’entend. Je décidais de laisser plus de la moitié de la population mondiale en profiter quelques temps, parce qu’on en conviendra je n’y pouvais queud.

Certains vous diront qu’ils pèsent le pour et le contre, voire qu’ils font une liste, en parlent autour d’eux puis qu’ils prennent une décision bien évaluée en toute connaissance de cause parce que « tu vois c’est la meilleur des choses à faire étant donné a) les circonstances, b) ta situation c) tes finances d) ce que vont penser les autres ».

Chez moi, je veux dire l’individu Châtellier, je ne parle pas de la maisonnée qui m’accueille dont je serais le maitre omnipotent qui donnerait le ton en toute légitimité d’une autorité machiste héritière d’un temps béni où Jackie était la plus belle (la Jackie de John, pas la mère de Michel), cela ne se passe pas exactement comme ça.

Lors de cet examen de ma conscience sociale en ligne (cette propension énervante à faire des phrases, cher à l’homme de peu de lettres), je passais en revue une parade désordonnée composée des souvenirs de cet article chez Usbek & Rika, d’un blog de DHH de Basecamp ou de l’impressionnant journalisme du Guardian sur le scandale Cambridge Analytica. Les preuves de la félonie du géant créé par Zuckerberg s’étaient accumulées dans le tribunal que j’avais convoqué ce soir de plat en sauce, le jugement devait tomber avant que les carottes ne soient cuites : ne pas être complice du plus grand piratage du siècle, c’était claqué la porte, jeter les clés et dire adieu.

Ce que je fis une semaine plus tard. Et je me rends compte aujourd’hui (après 3 semaines de vie sans Facebook/Instagram) que cela ne se passe pas trop mal. Je n’ai pas eu de crise de tremblement d’un pouce géant imaginaire en manque de scroll, ni de rêves agités où j’aurais parcouru une timeline idéale… non rien de tout cela n’est arrivé. Le calme, la coolitude absolue. Je suis un homme neuf, libre…

… Clap de fin sur un aveu gênant… Il m’arrive de demander à celle qui m’accompagne de me raconter, le soir au coin de la cheminée, ce qu’il se passe sur les réseaux. La faiblesse d’un homme.

** Une image vient de se charrier jusqu’à mon esprit. Je veux l’oublier. Maintenant.

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