
Depuis quelques mois, l’Ainée ne jure que par les Poke Bowl alors que je lui ai répété moult fois que ce n’était pas bien de jurer mais ce n’est pas mon propos. Pour ceux qui n’ont pas la chance d’habiter dans le merveilleux 9e parisien, Les Autres comme on dit ici, c’est un joyeux pêle-mêle au poisson cru à 15 ou 16 euros dont le goût est exotique parce qu’il y a de la mangue dedans.
Je n’ai rien à lui reprocher à ce sujet, j’ai moi-même eu quelques passions culinaires dans ma jeunesse, des marottes dont je trace l’origine à des fins de soirée qui avaient ouvert un appétit de bébé ogre chez le fêtard, étudiant de l’époque. Durant ces années passées dans la Grande Ville de La Comté, après avoir dégagé mes Stan Smith de pistes collantes de Jeanlain ou de Whisky Coke, je n’avais qu’une envie, celle de dévorer un « Américain ketchup mayonnaise ». Une merveille d’assemblage de produits congelés dont la recette était un secret bien gardé. Un gars qui sentait le soleil qui allait se lever et pour qui je ressentais de l’amour dès potron-minet nous fournissait avec bienveillance, mais toujours contre quelques francs quand même, à l’heure où les amitiés se nouent dans les vapeurs de mauvais alcools qui rendent la fête plus folle. On y devinait la présence d’un steak haché blotti au milieu de frites huileuses, le tout compressé dans une baguette de supermarché spongieuse à souhait. Je ne connais pas les proportions pour atteindre l’équilibre magique de ce précurseur de la street food. Hélas.
Après l’Exode, le Fabuleux Voyage connu aussi sous le nom de « La Montée à Paris » qui me conduisit dans le splendide 9e, je passais un cap culinaire. Après avoir dégagé une nouvelle paire de Stan Smith de pistes arrosées de Corona ou de Tequila Paf, je me jetais la gueule ouverte sur un italien (j’aime l’aventure) en la personne d’un panini dont le maître queue officiait aux Abbesses dans un restaurant dont j’ai oublié le patronyme mais qui se terminait par un O, ça c’est bien sûr.

La passion de L’Ainée quant à elle n’est n’est pas synonyme de fin de soirée, mais ce repas complet a une histoire tellement étonnante qu’il me démange de vous la conter et d’ailleurs je n’y résiste pas. D’aucun vous raconteront une autre histoire que la mienne, mais je peux vous assurer que je crois fermement que la mienne est la meilleure, ce qui pour moi est le signe de la Vérité.
Certains disent que le Poke Bowl est un plat d’origine hawaïenne inventé par les gens du cru parce qu’ils étaient jaloux de leurs voisins des Îles Sandwich à cause de ce que vous savez et des Îles Marquises pour la marquisette, moins connue mais tout aussi importante au sud de la Loire. Des voisins issus de germains assez éloignés, mais on ne va pas chipoter sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de distance.
Poke Bowl. Attrapez-les tous !
Point du tout donc, ceux-là ont tout faux si ce n’est que l’histoire se passe bien dans l’archipel des Îles de là-bas où les étrangers sont plus cool qu’ailleurs, car ils ont inventé le surf, mais je m’égare comme de bien souvent.
Donc, c’était en 1758. Bonaparte n’avait pas pris la grosse tête – il n’était pas né –, et Louis le seizième avait toujours la sienne – il n’était pas encore notre bon roi de France. Sur l’Île de Latubienvu, le village d’Ahoalpé est en ébullition. La Grand-Mère MamiuMa, la meilleure cuisinière de l’île dévoila ce jour-là un nouveau plat qu’elle avait inventé pour son petit-fils, Poke. Lorsque le plat fut présenté à toute la tribu Ahoalpé, un grand oulala se fit entendre. Le chef MoaMoa gouta, fit un pouce en l’air. Le reste du village se jeta sur ce nouveau plat. Et tout le monde apprécia. MamiuMa décida de nommer le plat « Poke Bowl » (le bol de Poke donc). Et voilà.
Si j’avais été à vos côtés pendant que vous me lisiez, ou m’écoutiez, c’est selon, je pense que j’aurais senti poindre de l’agitation à cette chute d’une histoire au final extra ordinaire. Vous vous attendiez sans doute à ce que le plat soit servi dans le crâne de Poke par exemple, décédé dans l’après-midi suite à la chute d’un bout d’astéroïde de nature comète Halleyienne, un coup du sort incroyable et improbable qui aurait revêtu mon récit d’un paquet cadeau aux couleurs cosmiques dont on fait les contes pour enfants. Mais ça, ce n’est pas la Véritable histoire du Poke Bowl.
Vous êtes déçus, je le sens, mais la vie n’est-elle pas une longue suite de déceptions qui nous conduisent de mauvais Poke en maussades panini (ou panino au pluriel ? ) au club sandwich final ? Je vous laisse y réfléchir. Vous avez quatre heures.